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Des cartes de paiement ciblées

Ce projet est celui qui est porté par un groupement d’organismes mené par l’Union des Mutuelles de France Savoie (UMF73). Il a été sélectionné en février 2025 par la Ville de Grenoble dans le cadre d’un appel à manifestation d’intérêt, et après que la Ville ait renoncé, unilatéralement, à l’automne 2024, à continuer de soutenir un autre projet, celui d’un collectif porté par l’association GRAAL.
Il se revendique de la « Sécurité sociale de l’alimentation » (SSA), telle qu’elle a été définie en 2019 par un collectif d’organismes : s’inspirer de la Sécu de 1945 à 1967 pour mettre en place un système qui concerne l’ensemble des habitant(e)s sans distinction, qui est financé par des cotisations sociales, et qui redonne la possibilité de choisir, dans le cadre d’assemblées démocratiques, les conditions de production et de distribution de l’alimentation.

Une mobilisation difficile

Les objectifs de la première phase du projet, entre juin et septembre, étaient de mobiliser une cinquantaine d’habitant(e)s au sein d’une assemblée dénommée « Comité citoyen », et de tester les outils informatiques pour utiliser, dans une douzaine de structures pré-sélectionnées, l’allocation de 100 euros attribuée à chaque personne qui verserait une cotisation à la Caisse.
Où en est-on ?

L’appel lancé aux habitant(e)s pour les inviter à participer à la première réunion du Comité citoyen, le 10 juin dernier, a été un succès. Plus d’une soixantaine de personnes est venue, alors qu’une cinquantaine était espérée.
Mais, ensuite, seule la moitié de ces personnes s’est vraiment impliquée, en cotisant selon leurs possibilités (moins ou plus que 100 euros) et en utilisant leur allocation de 100 euros. La période estivale n’était certainement pas la meilleure et la plus appropriée pour lancer un tel Comité citoyen.
Depuis le 15 octobre, de nouvelles personnes et familles peuvent adhérer à la Caisse. Un événement festif est prévu le 29 novembre 2025 pour marquer cette deuxième phase de la Caisse qui doit correspondre à une nette augmentation du nombre d’affilié(e)s et au véritable lancement de la Caisse. Le nombre de 300 avait été présenté comme l’objectif à atteindre à la fin de l’année 2025 ; il a été abaissé pour l’instant à 200, voire 150.

Des lieux non conventionnés

Pendant tout l’été, les personnes et familles ayant perçu leur allocation mensuelle de 100 euros ont pu l’utiliser dans une douzaine de structures pré-sélectionnées : deux restaurants et dix commerces qui, pour certains, ont plusieurs points de vente (épicerie mobile d’Episol) ou de retrait de commandes en ligne (Au Local).
La liste et la carte de ces lieux se trouvent dans ce Site Internet du logiciel (Kohinos) utilisé pour les différentes transactions financières.

Ces structures n’ont pas fait l’objet d’une procédure de conventionnement. Elles ont été pré-sélectionnées, alors que les procédures de conventionnement auraient dû être l’activité centrale du Comité citoyen dès le départ et bien en amont du lancement de la Caisse SSA.
Par le processus de conventionnement, un des principaux enjeux d’un projet inspiré de la SSA est en effet de redonner aux habitant(e)s mangeur(e)s le pouvoir de choisir démocratiquement (non pas les produits eux-mêmes mais) les conditions de production et de distribution de leur alimentation.
Cela n’aura pas été possible avec la pré-sélection, voire l’auto-sélection, des points de vente. Cela sera-t-il possible durant la deuxième phase ?
En tous les cas, une commission conventionnement a été mise en place au sein du Comité citoyen.

Dans la liste des lieux où il est possible d’utiliser l’allocation reçue se retrouve une partie des organismes qui pilotent, avec l’UMF73, cette initiative de caisse alimentaire. Pour ceux qui sont des commerces à but lucratif, cela pose la question de l’existence de conflits d’intérêt : ces structures sont en même temps acteurs dans la gouvernance d’un projet d’intérêt général et bénéficiaires directs des flux financiers créés.

Une communication institutionnelle

Une commission communication vient d’être mise en place au sein du Comité citoyen. Jusqu’ici, le collectif d’organismes qui pilote le projet, ainsi que la petite assemblée d’habitant(e)s (une trentaine de personnes), ont choisi de fonctionner sans communiquer sur leurs activités, et sans regards extérieurs.

Pendant cette première phase, seule la Ville de Grenoble a communiqué via Internet avec :
– fin juillet 2025 la mise en ligne de cette page de son Site Internet ;
– et fin août un bref article dans le magazine (papier et numérique) de la Ville.

Le groupement d’organismes qui pilote le projet a commencé à communiquer mi-novembre, avec l’annonce de l’événement festif du 29 novembre. Le nom du projet a été précisé : DALLE, pour Droit à l’alimentation locale et équitable.
(ont-il pris le temps de vérifier que ce nom n’était pas déjà utilisé, localement et nationalement, par une enseigne alimentaire ?)

Une politique sociale

« Sécurité sociale de l’alimentation, c’est parti ! », selon l’article de fin août dans Gremag, le magazine de la Ville de Grenoble.
Comme dans la plupart des projets menés en France, cette initiative est en fait encore très éloignée d’un système inspiré de la SSA, et de la Sécu tout court. D’une manière générale, elle se réduit pour l’instant à l’utilisation de cartes de paiement ciblées et à un mécanisme de solidarité, dans des lieux que les habitant(e)s de Grenoble n’ont même pas pu choisir au départ.

Dans les différentes expérimentations menées en France, les cartes SSA sont très souvent comparées aux Cartes Vitale de l’assurance maladie. Or, elles sont rarement utilisées comme telles, c’est-à-dire comme des cartes de droits (ce qu’est une Carte Vitale). Elles sont plutôt présentées et utilisées comme des cartes de paiement (quand ce n’est pas comme des chèques alimentaires) alors qu’une Carte Vitale permet l’inverse : le droit d’une prise en charge collective de certains soins et médicaments, le droit de se faire rembourser certaines dépenses.
Cela constitue une vision très réductrice, autant de la Sécu que de toutes les pratiques alimentaires et agricoles en jeu, abordées sous les seuls angles de l’achat et de la vente de produits, réduites à des activités commerciales. L’introduction d’un mécanisme de solidarité dans ces activités de ventes-achats, par des cotisations selon les revenus (moins ou plus que l’allocation reçue), relève davantage des mécanismes de solidarité propres au domaine de l’Économie sociale et solidaire que des principes de la Sécu.

De ce fait, les cartes de paiement existantes ne constituent pas encore cette innovation sociale et politique que pourrait être un système SSA, avec la mise en place d’un pot commun de cotisations et, grâce à ces financements, de prestations et de revenus de sécurisation en lien avec les différents risques et charges du secteur de l’alimentation.
Étant donné le montant très élevé du soutien de la Mairie (près de 230 000 euros pour le second semestre 2025), qui permet de compenser les cotisations faibles (celles qui sont inférieures à l’allocation de 100 euros versée), le projet porté par l’UMF73 relève pour l’instant de la politique sociale de la Ville de Grenoble qui la financera en 2025, selon le budget prévisionnel, à hauteur de 85 %.

Capture d’écran : annexe de la délibération du 24 mars 2025 sur le choix de la structure porteuse du projet SSA par la Ville de Grenoble

À cette subvention, il faut rajouter un poste de chargé de mission salarié de la Mairie et un accompagnement par des consultants qui a commencé en 2024.

Dans la Métropole de Grenoble et en Isère, d’autres projets se revendiquant de la SSA continuent d’être élaborés ou expérimentés. Les organismes porteurs de ces projets communiquent également très peu.
L’association GRAAL est toujours active. Elle a rejoint au printemps le collectif d’associations hébergées dans la Maison de la Nature et de l’Environnement de Grenoble (qui a pris la suite de la MNEI), place Bir-Hakeim. Elle prépare un projet et des actions à une échelle plus large que la commune de Grenoble.
En dehors de Grenoble et sa Métropole, le projet dans le sud du Grésivaudan et le Royans-Vercors a bien avancé au cours de l’année 2025 : le projet de SSA-Bourne Isère.
Plus proche de Grenoble, à Herbeys, et avec des producteurs du massif de Belledonne et de la Matheysine, une expérimentation (lointainement) inspirée de la SSA a été lancée avec les clients du magasin de producteurs Herbe et Coquelicot.
Quant au Groupe local SSA38, composante du Collectif national pour une SSA qui porte le projet politique d’une Sécurité sociale de l’alimentation depuis 2019 en France, il continue aussi de se réunir, de travailler et de réfléchir aux conditions et modalités d’un projet SSA dans le contexte isérois et grenoblois. Il n’est pour l’instant pas impliqué dans les différentes initiatives concrètes existantes.

A propos de l'auteur

Anne Veitl