Depuis 2019, en France, des organismes travaillent sur un projet d’élargissement des domaines de la Sécurité sociale à l’alimentation. A Grenoble, la municipalité a prévu dans le budget 2023 une somme pour commencer à expérimenter cette « Sécurité sociale de l’alimentation ». Zoom sur les différentes initiatives locales
Mise à jour : 23/03/23
Rappels sur la Sécu
Depuis sa mise en place à partir de 1945, la Sécurité sociale concerne les domaines de la maladie, de la famille, de la retraite et des accidents du travail. L’année dernière, elle a été élargie à la question de la dépendance des personnes très âgées ou en situation de handicap. Ces cinq grands domaines constituent des risques collectifs, des « risques sociaux ».
S’ils surviennent, la Sécurité sociale permet de sécuriser la situation de chacune et chacun. Elle assurent aux personnes qui tombent malade (ou qui ont des enfants, ou qui cessent de travailler du fait de leur âge, ou qui ont un accident dans le cadre de leur activité professionnelle, ou qui ne sont plus autonomes dans leur vie quotidienne) de percevoir des aides financières ou de pouvoir se faire rembourser des dépenses (les médicaments et la consultation chez le médecin, par exemple).
En France, la perte d’emploi ou l’absence de tout revenu ne font pas partie des grands risques couverts par la « Sécu » (comme les Français disent couramment). L’assurance chômage et le revenu minimum relèvent de la « protection sociale » qui est un ensemble plus vaste d’aides financières englobant la Sécu.
Quant au domaine de l’alimentation, il ne fait partie ni de la Sécu, ni de la protection sociale. Des aliments sont bien remboursés par les Caisses d’assurance maladie, mais dans les cas de maladies qui obligent à suivre des régimes stricts, comme pour les maladies cœliaques.
Pourtant, la manière de s’alimenter est très liée à l’état de santé de chacun. La « malbouffe » entraine des maladies et du surpoids. D’autre part, de nombreuses familles n’ont pas les revenus suffisants pour faire leurs courses et acheter les produits qu’elles souhaiteraient. Ces dernières années, les crises économiques et l’inflation des prix ont aggravé les difficultés d’accès de toutes et tous à des produits alimentaires de qualité et choisis.
Le projet national de 2019
Les liens forts entre l’alimentation, la santé et la précarité économique ont amené des organismes à proposer d’élargir la Sécu à l’alimentation, sous la forme d’une aide de 150 euros par personne et par mois. Comme pour certains médicaments remboursés à 100 %, des aliments seraient totalement pris en charge par la Sécu. Il serait possible de les acheter dans des lieux de vente conventionnés.
Pour réunir le budget nécessaire, un système de prélèvements de cotisations serait mis en place, comme pour la Sécu. Les sommes collectées seraient ensuite redistribuées.
Les organismes à l’initiative de ce projet se sont réunis en un collectif national et ont commencé en 2019 à le faire connaître. Principalement, des agronomes, des agriculteurs, des syndicalistes et des chercheurs se sont alliés pour communiquer ensemble sur cette Sécu de l’alimentation.
Le projet a petit à petit suscité de l’intérêt dans toute la France. D’une part, des collectifs locaux se sont mis en place pour relayer les actions de communication du collectif national. D’autre part, des associations et des agriculteurs se sont lancés dans des expérimentations locales pour concrétiser ce projet.
Les initiatives à Grenoble
Dans la région de Grenoble, à la suite de plusieurs réunions de présentation du projet de Sécu de l’alimentation, puis de la sortie d’un livre d’une coopérative iséroise, L’Atelier Paysan, un collectif local a pris forme à partir du printemps 2022. Il réunit une grande diversité de personnes et de représentants d’organismes : des agriculteurs, des personnes dans la précarité, des lieux alternatifs de vente de produits alimentaires, des organismes professionnels du secteur agricole, des militants syndicaux, des chercheurs et des enseignants.
Depuis le printemps 2022, tout en s’élargissant, le « collectif SSA 38 » a commencé à s’organiser et à réfléchir à des manières concrètes d’expérimenter localement une Sécu de l’alimentation. Actuellement, deux projets concrets existent. Ils sont en discussion interne collective et seront présentés prochainement quand l’un ou l’autre (ou un troisième) sera validé.
Dans le même temps, des élus locaux, notamment ceux de la municipalité de Grenoble, ont découvert le projet de 2019 et les expérimentations locales en cours dans d’autre régions en France. Ils s’y sont fortement intéressés jusqu’à décider eux-aussi de lancer et soutenir financièrement une expérimentation locale.
A partir de fin janvier 2023, l’élu municipal chargé de la « stratégie alimentaire », Antoine Back, a commencé à communiquer sur cette décision de la Ville de Grenoble, d’abord dans les réseaux sociaux, puis dans des documents officiels, comme le dossier du « Bouclier social et climatique » du 27 janvier.
Le Budget primitif 2023 adopté par le Conseil municipal du 13 mars dernier prévoit un soutien financier important sur plusieurs années, de l’ordre de 300 000 euros pour la première année. Dans le rapport qui explique les orientations budgétaires choisies, il est écrit : « (…) la Ville de Grenoble à l’instar d’autres collectivités et collectifs en France choisit de mener une expérimentation locale de la Sécurité Sociale de l’Alimentation (SSA). Cette décision inscrit la création d’un droit nouveau et fondamental à l’alimentation et la construction d’une démocratie alimentaire locale pour favoriser un accès de toutes et tous compatible avec un système alimentaire durable » (p. 33 du ROB).
Un manque de concertation ?
Les élus de la Ville ont dialogué jusqu’à maintenant avec un petit nombre d’associations impliquées dans l’alimentation à Grenoble. Si des contacts ont eu lieu avec le « collectif SSA 38 », aucune véritable concertation n’a été organisée pour l’instant, alors que la Ville communique beaucoup sur la « construction d’une démocratie alimentaire locale ».
Dans les projets de Sécu de l’alimentation, la question de la démocratie est complexe et se pose à plusieurs niveaux.
Un des enjeux est de redonner aux habitants-consommateurs le pouvoir et les moyens (notamment financiers) de choisir leur alimentation, en évitant un recours à l’aide alimentaire sous forme de dons de produits, souvent vécus comme des situations indignes, voire violentes, par les personnes qui viennent chercher leur colis. L’objectif est aussi que ces personnes puissent accéder à une alimentation saine et de qualité, pour elles et la Planète.
Mais il s’agit également que l’ensemble des acteurs du système alimentaire (et pas seulement les consommateurs) retrouvent des lieux de débat et un pouvoir de décision sur les manières de produire, de distribuer et de cuisiner les aliments. Il revient aussi à ces différents acteurs (agriculteurs, lieux de vente, artisans, restaurants, mangeurs, associations) de co-construire les modalités concrètes d’aides financières de la Sécurité sociale de l’alimentation.
Ces différents acteurs sont ceux de la « démocratie sociale », autrement dit de la démocratie dans la société. Ce système démocratique est différent et distinct de la « démocratie politique » fondée elle sur les élections dans les collectivités territoriales et à l’échelle de la Nation. Les élus et représentants de la démocratie politique doivent (devraient) veiller à ce que la démocratie sociale puisse exister et fonctionner.
De ce point de vue, la Ville de Grenoble aurait dû commencer par être à l’écoute des divers et nombreux acteurs de terrain qui font et feront vivre concrètement cette forme de démocratie ancrée dans la société.
Une concertation va-t-elle se mettre en place ?
À suivre…
À noter : oYez a rejoint à la fin de l’année 2022 le « collectif SSA 38 », dans le but de mieux faire connaître le projet national et de s’impliquer dans l’élaboration et la réalisation d’un projet local d’expérimentation.