À Grenoble, la première réunion du « Comité citoyen » est annoncée pour le 10 juin prochain. Le groupe d’organismes qui a été lauréat de l’appel à projets de la Ville de Grenoble est encore en train de constituer cette assemblée qui sera composée d’habitant(e)s. Les candidatures sont possibles jusqu’au 6 juin. Zoom sur les enjeux de démocratie
Mise à jour : 2 juin 2025
Dans un projet se revendiquant de la « Sécurité sociale de l’alimentation » (SSA), la mise en place, puis le fonctionnement d’une assemblée démocratique pour prendre des décisions concernant la caisse commune et le système à construire sont deux phases importantes et centrales. Elles se situent en amont du lancement effectif de la Caisse.
À Grenoble, pour ce projet limité à la commune centre de la Métropole Grenoble-Alpes, cette phase préalable n’aura pas lieu.
La première réunion du « Comité citoyen » marquera le début du fonctionnement d’un système de cotisations-prestations réservé pendant six mois à une cinquantaine de personnes, celles qui participeront au « Comité citoyen ». Durant cette première phase, le projet mis en œuvre sera celui qui a été défini par un groupe d’organismes au début de l’année.
Un changement majeur est cependant intervenu ces dernières semaines : plus question d’utiliser la monnaie locale Le Cairn.
Rappels : les organismes impliqués et les grandes lignes du projet
Le « collectif pour une Sécurité sociale de l’alimentation de Grenoble » est désormais composé de six organismes, et non plus sept : l’association Le Cairn, qui porte le projet de monnaie locale, n’en fait plus partie.
Le groupe comprend donc :
– l’association nationale d’éducation populaire AequitaZ ;
– l’entreprise Biocoop Champollion et Malherbe (soit deux magasins bios de Grenoble) ;
– le syndicat agricole la Confédération paysanne de l’Isère ;
– l’association d’agriculture urbaine Cultivons ! ;
– l’épicerie solidaire Episol ;
– la coopérative Le Bar Radis (un restaurant et un bar, en imbrication avec Cultivons !) ;
– et une mutuelle savoyarde, l’Union des Mutuelles de France Savoie (UMF73).
L’UMF73 est la structure qui est la tête de réseau du groupe. Elle porte administrativement et financièrement le projet. Il s’agit d’une mutuelle relevant du « Livre III » du Code de la Mutualité, c’est-à-dire une mutuelle qui gère et propose des soins et services, des SSAM (services de soins et d’accompagnement mutualistes).
Son directeur, Glen Kergunteuil, est aussi le président de la mutuelle régionale Entrenous (choisie à l’automne comme mutuelle communale pour Grenoble). Il a participé, en tant que président d’Entrenous, pendant le premier semestre 2024, aux groupes de travail organisés par la Ville de Grenoble.
Quel service alimentation va-t-il être proposé à Grenoble ?
Dans ses grandes lignes, le projet n’a pas évolué depuis mars. Une somme de 100 euros par personne, plus 50 euros par personne d’un même foyer, dans la limite de 200 euros, sera versée mensuellement. Cette prestation sera utilisable pour des courses alimentaires et pour aller au restaurant.
Il n’est cependant plus question de recourir à la monnaie locale Le Cairn, une question qui avait été très débattue pendant le Conseil municipal du 24 mars 2025.
Une appli smartphone permettra un système informatique de tiers-payant avec son téléphone portable. L’adhérent à la caisse n’aura donc pas à avancer l’argent. La Caisse règlera directement le montant des courses (ou du repas) aux magasins (ou restos) où il sera possible d’aller.
C’était un des scénarios de circuits financiers étudiés et proposés par le Groupe de travail « Mécanique de la caisse » qui s’était réuni pendant le premier semestre 2024 à l’initiative de la Ville de Grenoble.
Les cotisations seront librement choisies, de 1 à 200 euros. L’essentiel des sommes d’argent distribuées en allocations de 100 euros ne viendra pas des cotisations, mais de la subvention de la Ville de Grenoble.
Alors que le projet porté par l’UMF73 est présenté comme une « caisse autonome et indépendante », l’abondement de cette caisse sera en fait complètement dépendant des soutiens de la Ville, qui suit de très près l’avancement du projet, avec un chargé de mission dédié, une instance d’évaluation et, depuis le début de l’année 2025, un membre du cabinet du maire chargé de la stratégie alimentaire, Octave Plessis, également conseiller communication d’Éric Piolle.
Où sera-t-il possible d’utiliser son allocation de 100 euros ?
Huit organismes sont proposés, qui devraient faire l’objet des discussions démocratiques de l’assemblée d’habitant(e)s à partir du 10 juin prochain :
– l’épicerie coopérative Au Local, avec neuf lieux de distribution dans Grenoble (et les livraisons à vélo à domicile) les jeudis et vendredis ;
– les deux magasins Biocoop ;
– le magasin Episol et les quatre sites grenoblois de l’épicerie mobile ;
– la boulangerie bio Le Pain des cairns ;
– le marché bio du quartier Europole, le jeudi après-midi ;
– le restaurant du Bar Radis ;
– le restaurant associatif La Pirogue.
Les enjeux démocratiques dans une Caisse SSA
Le « conventionnement » des lieux où utiliser une allocation SSA est une des missions de l’assemblée démocratique au centre du système à mettre en place. Il s’agit par là de donner à cette assemblée un pouvoir de décision concernant les lieux et les critères des modes de production des aliments.
Mais redonner du pouvoir concrètement à qui ?
Et seulement pour décider des critères en jeu dans la production de l’alimentation ?
À Grenoble, avec un Comité citoyen composé uniquement d’habitant(e)s, le choix a été fait de mettre en place une assemblée démocratique qui ne comprendra qu’une partie des acteurs du système alimentaire : les mangeuses et mangeurs, notamment les plus précaires (le projet est de sur-représenter les personnes en situation de précarité, par rapport à la répartition de la population grenobloise selon les revenus).
Concernant la composition des assemblées au centre des projets se revendiquant de la SSA, l’enjeu est ici celui de la démocratie sociale à construire et faire vivre. Dans le terme « démocratie sociale », l’adjectif social fait référence ici à la société, aux différents acteurs de la société civile. Il ne s’agit pas du sens étroit qui fait référence à la protection des populations défavorisées.
Dans un projet de type SSA, le premier enjeu démocratique est de parvenir à impliquer les différents types d’acteurs du système alimentaire, dans le but de le transformer, vers plus d’écologie et de solidarité, à l’échelle d’un territoire (dont les limites sont à définir), et en dehors des industries agro-alimentaires. Il ne s’agit pas seulement de « développer l’accès à une alimentation de qualité, respectueuse de l’environnement et des personnes », comme il est écrit au début du communiqué du 24 mai du collectif d’organismes. Et encore moins de proposer une « alternative à l’aide alimentaire » (sous-entendu : par la distribution de colis alimentaires gratuits).
Réduire un projet se revendiquant de la SSA à ces objectifs (qui relèvent plutôt de la mise en place de chèques alimentaires) revient à passer à côté du projet politique global de transformations territorialisées du système alimentaire. Et c’est en mettant en place des assemblées où les différents acteurs (notamment ceux du foncier, ceux du monde paysan, ceux de l’artisanat, ceux des commerces alternatifs, ceux des cantines et restos solidaires, ceux de la santé et de l’environnement) pourront se rencontrer, discuter et décider, que de tels projets pourront être amorcés et concrétisés.
Il s’agit d’instaurer des lieux où délibérer, où apprendre à délibérer sur les questions d’agriculture et d’alimentation.
La mise en place d’une démocratie délibérative est le deuxième grand enjeu démocratique d’un projet de type SSA.
Cela exige de former les personnes, afin qu’elles soient en mesure de discuter et argumenter, en assemblée publique, et en amont des décisions à prendre. Plus concrètement, délibérer consiste, par des discussions collectives menées avec une éthique de communication, à évaluer les avantages et les inconvénients d’une solution à un problème. Tout le monde doit pouvoir s’exprimer. Les avis de chacune et chacun sont amenés à changer au cours des délibérations et des échanges d’arguments.
C’est pourquoi l’assemblée démocratique au centre des projets SSA doit être mise en place bien en amont du lancement effectif de la caisse et du versement des allocations. Les temps de la formation et de la délibération sont longs. Mais ils sont riches de toutes les décisions qu’ils vont ensuite rendre possibles, riches de l’inventivité pour transformer localement et collectivement un système alimentaire.
Seront-ils enfin organisés à Grenoble ?
Début 2024, au démarrage des groupes de travail coordonnés par la Ville de Grenoble, il avait été envisagé de mettre en place cette assemblée démocratique dès le printemps, ou au plus tard à l’automne 2024. Cet objectif a disparu (pour des raisons non connues) et n’a subsisté que l’organisation d’un autre type d’assemblée, dite « citoyenne », celle qui a eu lieu le 12 octobre 2024 et visait à faire connaître le projet à l’ensemble de la population de Grenoble.
Pour l’instant, les organismes du collectif, censés porter un projet d’intérêt général, proposent surtout aux habitant(e)s de venir utiliser leur allocation de 100 euros dans leurs organismes mêmes, pour la plupart à but lucratif (excepté Episol, Au Local et La Pirogue). Le communiqué diffusé mentionne des « lieux conventionnés », alors qu’aucune procédure de conventionnement n’a été menée, à strictement parler (il faudrait mieux parler de lieux pré-choisis).
Plusieurs organismes se sont même auto-désignés comme lieux où il sera possible d’utiliser l’allocation de 100 euros. N’aurait-il pas mieux fallu éviter de telles situations de conflits d’intérêt pour lancer un projet qui s’affiche solidaire ?
À moins de quinze jours de la première réunion annoncée du Comité citoyen, cette assemblée, à Grenoble, est encore en constitution. Un communiqué assez brouillon et un formulaire numériques ont été diffusés dans de petits cercles. Aucun Site Internet ou réseau social n’a été mis en place pour faciliter la diffusion d’informations.
Le communiqué du 24 mai 2025 : fichier PDF.
Le formulaire en ligne pour demander à participer au Comité citoyen : ici.
Pour celles et ceux qui seraient intéressé(e)s par la question de la démocratie délibérative : un article de dictionnaire, pour commencer.
Nota Bene : de février à mai 2024, j’ai participé, en tant que chercheur en sciences politiques, à un groupe de travail de la Ville de Grenoble, celui sur la « mécanique de la Caisse ». J’ai pu avoir accès à l’ensemble des comptes rendus. Ni oYez !, ni moi ne sommes actuellement impliqués dans une initiative SSA en Isère (il existe plusieurs projets concrets).