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L’ADN d’Episol : solidarités et activité commerciale

Depuis 2015, le petit commerce Episol est à Grenoble un des acteurs-clés de l’accès de toutes et tous à une alimentation de qualité, notamment les fruits et légumes. C’est une épicerie associative, ouverte à tout le monde, sans adhésion obligatoire. Rencontre avec Julie Baume-Gualino, sa directrice depuis l’été 2022

Bonjour Julie, nous nous rencontrons pour parler d’un des dispositifs commerciaux d’Episol, les paniers solidaires. Mais pourriez-vous auparavant nous présenter les autres dispositifs ?
À Episol, il existe trois dispositifs commerciaux : le magasin fixe, qui est une épicerie de quartier, de proximité, dans le quartier La Capuche ; la Mobile, qui est l’émanation ambulante du magasin fixe et qui dessert neuf sites de l’agglomération (de La Tronche à Seyssinet) ; et les paniers.
Ces dispositifs fonctionnent tous les trois selon le système de la tarification solidaire. La seule différence est que le magasin et la Mobile proposent trois tranches de tarifs et les paniers quatre tranches, pour favoriser encore plus une très forte accessibilité pour les fruits et légumes en proximité.

Le tarif le plus bas est de combien ?
C’est 4,50 euros, pour un panier de 3,5 kg de légumes locaux et/ou bio. C’est vraiment l’objectif de ce dispositif : amener en forte accessibilité des produits frais, locaux, de qualité, à des personnes qui ne se déplaceraient pas pour venir à La Capuche ; et selon un système de solidarité encore plus poussé que dans le magasin. Tout est basé sur le revenu de chaque foyer.
La part à la charge d’Episol est la différence entre le prix d’achat et le prix de vente. Nous achetons les paniers 9 euros et nous les revendons en grande majorité à 4,5 euros. La différence est ce que nous appelons la solidarité alimentaire. Elle a beaucoup augmenté cette année, car les prix des paniers ont augmenté, et nous avons choisi de ne pas augmenter les tarifs des tranches basses. Nous avons un peu répercuté sur les tranches hautes, mais c’est une proportion du public très faible.
Les paniers remplissent vraiment leur objectif : apporter aux personnes dans la précarité des fruits et légumes pas chers.

Le principe de ce dispositif est-il aussi que ceux qui peuvent payer 11 euros compensent les paniers à 4,5 euros ?
C’est effectivement le principe, la mécanique qui aide un petit peu à l’équilibre commercial d’Episol au sens large. Pour cela, il faudrait qu’il y ait une très forte mixité sociale, et ce n’est pas le cas. À Episol, la majorité des ventes se fait à des personnes dans la précarité ou en assez grande précarité. Du coup, cette mécanique aide peu. Même si elle n’est pas négligeable, elle est loin d’être suffisante.
De toutes les manières, les associations comme les nôtres, à but non lucratif, ont des plafonds de vente à ne pas dépasser pour les publics qui ne bénéficient pas des tarifications réduites. Et c’est le type de contradiction auquel nous devons faire face dans ce secteur, tout le temps. Il y a les injonctions du système et il y a les réalités du terrain.
Nous avons besoin de cette forte mixité sociale pour l’équilibre commercial et pour le projet associatif, pour qu’il y ait beaucoup de personnes d’horizons différents qui se rencontrent à Episol.

L’équilibre est réalisé grâce aux aides publiques ?
C’est moitié-moitié : de l’activité commerciale tout au long de l’année, et du subventionnement.
Pour l’activité commerciale, nous allons chercher des approvisionnements qui vont nous permettre de proposer des produits en forte accessibilité. Tout dépend de la quantité d’approvisionnement qu’on peut avoir.
Ces approvisionnements  viennent d’une part de l’anti-gaspi : en 2022, c’est 50 %. Cela permet d’équilibrer la balance commerciale en réduisant le coût des achats.
Nous avons aussi des filières spécialisées grâce au GESRA (ndlr : groupement des épiceries sociales et solidaires Auvergne-Rhône Alpes) et autres. Cela nous permet d’acheter à très bas prix des produits que nous allons pouvoir reproposer en forte accessibilité.
Il reste une base de produits classiques, de produits d’appel (par exemple, le coca) pour lesquels nous appliquons la tarification normale : en tarif 3, vous payez moins qu’en supermarché, mais en tarif 1 vous payerez un peu plus cher.

Pour les paniers, il est difficile de descendre en dessous de 9 euros…
C’est ce que nous avons négocié avec nos deux fournisseurs. Pour l’instant, nous trouvons qu’ils jouent le jeu.

Le dispositif des paniers solidaires pourrait-il servir pour une expérimentation de « sécurité sociale de l’alimentation » ?
Ce ne serait pas du tout équilibré.
Si on pense fonctionner seulement avec la mécanique de la société civile, cela ne peut pas fonctionner, selon moi. Il faut croire et espérer qu’il y aura assez de personnes prêtes à payer pas mal plus cher pour que d’autres accèdent à des produits.
Cela reste à travailler. Pour moi, c’est encore un questionnement. Il existe plein d’expérimentations différentes.
Par exemple, à Montpellier, cela fait plusieurs années qu’ils portent le projet. Leur objectif était 100 euros de forfait mensuel. Ils sont en fait à 70. Et, dans les faits, ce sont les pouvoirs publics qui abondent en donnant le reste.

Quelle place pourrait avoir Episol dans les projets de la Ville de Grenoble concernant l’alimentation ?
À Episol, nous sommes au cœur de la dynamique qui se met en place à Grenoble. La Ville a voté un très important budget dans le cadre plus large d’une stratégie alimentaire. Dans ce cadre-là, il y a un volet consolidation de l’existant, dans lequel nous rentrons, avec deux autres associations.
Pour l’expérimentation de la SSA (ndlr : sécurité sociale de l’alimentation), nous allons prendre notre part. Dans l’expérimentation de Montpellier, il y a des structures labellisées où les sommes peuvent être dépensées. Nous pensons bien être une structure labellisée. Nous nous sommes aussi proposés pour être un guichet d’enregistrement.

Dans le cadre d’une SSA, des personnes pourraient avoir accès aux paniers sans rien payer. Est-ce que c’est dans vos schémas ?
L’idée de départ d’Episol est au contraire de faire en sorte qu’en rentrant dans nos dispositifs commerciaux, on est un client comme un autre. On paie et on choisit. À Episol, nous nous démarquons de la distribution alimentaire pour éviter la stigmatisation et tout ce qu’on entend sur « l’assistanat ». Le principe d’Episol, c’est qu’on paie. On participe, on choisit. On a la dignité d’être un client qui paie, un modique prix, mais qui paie.
Ce qui est compliqué, par rapport à la SSA, c’est que notre ADN est cette tarification différenciée. C’est un modèle économique dur à porter : 40 000 euros de solidarité alimentaire en 2022.

Est-il envisageable que vous changiez votre système de prix ?
Il faudrait que nous revoyions tout le fonctionnement d’Episol. Nous faisons déjà de l’accessibilité depuis bien longtemps. Cela fonctionne.
Mais si quelqu’un trouve quelque chose qui fonctionne mieux, qui touche plus de personnes et qui coûte moins cher… Pour l’instant, que l’on me prouve cela !
Et faut-il complètement dédouaner les pouvoirs publics face à l’accessibilité alimentaire ? Le droit de s’alimenter, c’est comme le droit de se soigner : c’est aussi de la responsabilité de l’Etat de faire que les gens puissent manger à leur faim en France.

Site Internet d’Episol : https://episol.fr/

Interview réalisée mi-septembre
Photo : vente de légumes dans le magasin avec la mention des trois prix

A propos de l'auteur

Anne Veitl