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Le projet de ferme derrière Grand’Place

C’est finalement la ferme Millepousses, installée depuis fin 2021 à côté de l’hôtel Lesdiguières, qui va cultiver le terrain avenue d’Innsbruck à partir de fin 2024. Entretien avec Fanny Reymond et Antoine Back, de la Ville de Grenoble, sur le projet de ferme urbaine GrandAlpe

Lundi prochain, 18 décembre, le Conseil municipal devrait voter la convention entre la Ville de Grenoble et l’association Millepousses pour la mise à disposition, pour une « exploitation maraîchère », d’un grand terrain dont elle est propriétaire à côté des parkings d’Alpexpo (point 52 de l’ordre du jour, page 6).
Le projet d’installer une ferme urbaine sur ce terrain remonte à 2020. Il a connu depuis de multiples rebondissements. Il est connu sous le nom de ferme urbaine GrandAlpe, car il s’insère dans le vaste réaménagement, en cours, du sud de la Ville de Grenoble et du nord d’Échirolles : GrandAlpe.

Bonjour Fanny et Antoine, nous nous rencontrons à propos du projet de ferme urbaine à GrandAlpe. À quels titres êtes-vous impliqués dans ce dossier ?
Fanny Reymond : je travaille dans le service Nature en ville à la Mairie de Grenoble, au sein du pôle Agriculture urbaine et biodiversité, dans lequel nous gérons les fermes urbaines  existantes (Les Jardins Détaillés et Millepousses).
Nous avons aussi pour mission de lancer de nouveaux projets : professionnels, citoyens ou hybrides, comme le projet de forêt comestible dans le Parc Hoche, lauréat du Budget participatif. Nous envisageons également des projets plus atypiques, comme l’installation d’une champignonnière dans un ancien bastion.
Antoine Back : je suis adjoint au maire chargé de la stratégie alimentaire et de la résilience territoriale, entre autres choses.
L’agriculture urbaine est un des maillons constitutifs de la résilience territoriale. Il ne s’agit pas d’atteindre une autonomie alimentaire à partir de ce qu’on produit dans les limites communales, évidemment. On en est très loin. Néanmoins, la Ville de Grenoble a délibéré en juin sur une stratégie d’agriculture urbaine, et en septembre sur une stratégie alimentaire. Ce sont deux sujets différents, mais qui sont connexes. Nous voulons inscrire l’agriculture dans le paysage urbain, dans le paysage vécu des habitantes et des habitants, dans leur univers mental.
Grenoble est une ville très artificialisée, avec 8800 habitants/km2, avec une histoire agricole très ancienne, que plus personne ne connaît. Il y a des espaces de reconquête, de renaturation, à l’échelle de l’individu citoyen jusqu’à celle du professionnel, en passant par les collectifs.

Vous pilotez ce secteur avec d’autres élu.e.s ?
A.B. : les deux principaux élus avec lesquels je travaille sont Gilles Namur, adjoint à la Nature en ville, et Thierry Chastagner, en charge de la végétalisation.

Le projet de ferme urbaine à GrandAlpe est un projet que vous suivez depuis combien d’années ?
A.B. : c’est un projet que nous suivons avec la Métropole de Grenoble depuis 2020 et l’appel à projets Quartiers fertiles de l’ANRU (ndlr : Agence nationale de la rénovation urbaine). Ce projet a une histoire mouvementée. À la base, il a été porté par le Collectif autonomie alimentaire de la région de Grenoble.
F.R. : En 2020, la Ville de Grenoble a été sollicitée dans le cadre d’une recherche de foncier. La Métropole cherchait un terrain pour répondre à cet appel à projets, ainsi qu’un porteur de projet. Elle a sollicité différentes villes. Les villes de Grenoble, Échirolles et Eybens ont répondu conjointement pour un terrain qui est à cheval sur les trois communes, mais qui est uniquement la propriété de la Ville de Grenoble.
De son côté, la Métropole a contacté le Collectif autonomie alimentaire pour porter le projet et candidater. Il a été lauréat.
Ensuite, il y a eu plusieurs rebondissements.
Fin 2021, c’est le retrait du Collectif autonomie alimentaire.
Le collectif a cherché ensuite un repreneur. Il a lancé un appel à candidatures, en novembre 2021, qui a été remporté en mars 2022 par la coopérative Pistyles, de la région lyonnaise. Il y a eu à ce moment-là une redéfinition de la délimitation foncière accordée.
A.B. : le travail a commencé avec cette coopérative, avec le projet d’implantation d’un maraîcher professionnel. Mais au bout de quelques mois, il y a eu un changement d’orientation de cette coopérative, qui a abouti à l’abandon du projet.
F.R. : en avril 2023, nous avons reçu un courrier de résiliation de Pistyles qui se désistait du projet.

La Ville prend alors l’initiative de lancer aussitôt un appel à candidatures ?
F.R. : la situation était devenue différente. La Ville de Grenoble n’avait jamais été porteur du projet. Elle mettait seulement à disposition le terrain.
Ce qui a changé vraiment la donne, à partir d’avril, est que la Ville de Grenoble a aussi contractualisé avec l’ANRU, ce qui n’était pas le cas avant.

Comment en êtes-vous arrivés à ce changement ?
A.B. : l’ANRU, pour les projets Quartiers fertiles, rencontrait aussi dans beaucoup de villes des difficultés à faire aboutir les projets lauréats.
F.R. : il y a une temporalité longue que l’ANRU n’avait pas anticipée. Énormément de villes et d’associations ont été lauréates, en plusieurs vagues. On se rend compte que tous les projets de type professionnel en milieu urbain ont une temporalité très longue, en fait. Car on est hors des clous : juridiques, organisationnels, etc. Cela pose plein de questions. Ils ont donc revu leur calendrier pour s’adapter au temps des projets.

Qu’est-ce qui a changé concrètement dans la gouvernance du projet ?
F.R. : initialement, le porteur de projet contractualisait, seul, en direct avec l’ANRU. Et cela se faisait via la Métropole car c’est elle qui a la compétence pour le renouvellement urbain.
Ce qui change : il y a une double contractualisation, d’une part Ville de Grenoble avec l’ANRU, d’autre part le porteur de projet avec l’ANRU.

C’est l’ANRU qui l’a demandé ?
F.R. : non, c’est nous, parce que les deux premiers projets se sont surtout éteints par manque de trésorerie. En fait, l’appel à projets est monté de manière à ce qu’il faut que la structure avance l’argent et ensuite touche la subvention. C’est un montant qui est énorme, presque 400 000 euros, pour un total de dépenses de 800 000. Mais aucune structure d’agriculture urbaine n’est en mesure d’avancer ces sommes.
C’est surtout cet élément déclencheur qui a poussé la Ville de Grenoble à s’engager. Cela permet d’une part d’avancer une partie de la trésorerie, mais aussi de toucher une partie de la subvention. La subvention va aller à la fois au porteur de projet et à la Ville, en sachant que les grosses dépenses de viabilisation du terrain étaient déjà proposées aux porteurs de projets, comme cela s’est passé pour les Jardins Détaillés et Millepousses.

Tout est signé ?
F.R. : nous avons contractualisé avec l’ANRU à la rentrée de septembre.

Comment s’est passée la sélection du nouveau porteur de projet ?
F.R. : nous avons relancé un appel à candidatures au printemps 2023, avec dépôt de candidature possible jusqu’en juin. Puis nous avons organisé un jury.

Vous avez eu beaucoup de candidatures ?
F.R. : il y a eu beaucoup de curiosité, mais une seule candidature recevable, celle de Millepousses.
Cette candidature nous convenait à merveille !
A.B. : ce sont des acteurs que nous connaissons bien. C’est la deuxième ferme urbaine créée à Grenoble. Elle fonctionne bien, elle a un beau projet.

Est-ce que la volonté de faire participer les habitants des deux Villeneuves existe toujours dans le projet ?
F.R. : Nous avons toujours l’obligation d’avoir un lien avec les habitants des Villeneuves de Grenoble et d’Échirolles. C’est l’essence même de la subvention. Sinon elle tombe.
Le lien que la directrice de Millepousses, Isabelle Roblès, a proposé dans sa candidature est d’abord un lien par l’emploi : embaucher par des contrats d’insertion des personnes habitant les QPV (ndlr : Quartiers prioritaires de la politique de la ville).
Elle a d’ailleurs une demande énorme en insertion professionnelle.
Le deuxième lien est un lien par la vente dans les marchés locaux.
Il y a aussi une attente pour faire de l’accueil du public sur la ferme, des formations, de l’animation, mais ce volet viendra dans un second temps.

Quels vont être les aménagements du terrain ?
F.R. : la Métropole va viabiliser le terrain, c’est-à-dire amener les réseaux d’eau et d’électricité en bordure de parcelle. Ce sera terminé en février-mars 2024.
Du côté de la Ville de Grenoble, tout le premier semestre 2024 va être dédié à la conception de la ferme. Nous avons recruté un maître d’œuvre qui va faire des études de conception. Nous allons dessiner avec Millepousses l’aménagement du terrain.

Il y aura aussi un bâtiment, comme dans le premier site de Millepousses dans le parc de l’hôtel Lesdiguières ?
F.R. : oui, il y aura un bâtiment. Les travaux sont prévus pour le second semestre 2024.

La terre est de qualité ?
F.R. : oui, il y a eu des analyses. C’est aussi la raison pour laquelle il y a une telle envie politique de dédier ce terrain à l’agriculture urbaine. C’est l’un des rares terrains où il y a une profondeur de sol conséquente et pas de pollution.

Et pas de réseaux de canalisations ?
A.B: c’est un ancien terrain de rugby, qui est inutilisé depuis 20 ans. Il y a un humus de grande qualité.

Et c’est grand !
F.R. : Il y aura 1 hectare (ndlr : 10 000 m2) mis à disposition, dont 8000 m2 de pleine terre cultivable, ce qui est beaucoup plus grand que ce qu’a Millepousses pour le moment.
Cela implique néanmoins un modèle économique basé sur du micro-maraîchage, comme aux Jardins Détaillés (ndrl : ferme située au Centre horticole de la Ville, à… Saint-Martin-d’hères).
A.B. : c’est un projet avec de bonnes fées autour.

Interview réalisée fin novembre 2023.

Photos : celle du haut vient du Site Internet de la Métropole, le terrain est signalé en rouge (rajout par oYez !). Les deux autres photos, ci-après, ont été prises depuis le côté nord du terrain cet été 2023 par oYez !

A propos de l'auteur

Anne Veitl