zoom suragricultures où acheter des produits locaux

De la forêt aux boucles écologiques

Champiloop est une entreprise d’agriculture urbaine fondée au printemps 2020 par Maxime Boniface et Hamid Sailani dans la Métropole de Grenoble. Elle produit deux variétés de champignons : les pleurotes et les shiitakes. Maxime Boniface, en dialogue avec Anne Veitl, explique comment il est possible de cultiver en ville ces champignons qui poussent dans la nature. Il présente aussi le projet écologique de réutilisation de matières récupérées localement.

«  Bonjour Maxime, pour l’interview, nous sommes à Grenoble. Mais où se situent les lieux de production ?
Aux Caves de la Frise, à Eybens, à côté du Château de la Commanderie et de la Mairie.

C’était quoi auparavant ces caves ?
Avant, c’était un bâtiment militaire, un lieu de stockage de matériels.

Ce sont des caves creusées dans le sol ?
Non, c’est creusé à flanc de coteau, dans une colline.
Après, cela a été réhabilité par la Brasserie de la Frise, à la fin du XIXe siècle. Ils y stockaient leurs bouteilles de bière au frais. C’est bien isolé. Ils descendaient des blocs de glace. Cela faisait comme une grande chambre froide.
En 2016, une association d’Eybens a réhabilité ces lieux en champignonnière.

L’entrée des caves : vue depuis la rue des Arraults à Eybens (photo oYez)

Hamid Sailani a pris la suite à quel moment ?
Il a rejoint l’association en tant que bénévole en 2018, pour se former au métier (même s’il avait déjà produit en Iran des champignons de Paris). Il voulait en faire son métier. En 2019, l’association lui a légué l’exploitation. Les bénévoles étaient de moins en moins présents.
J’arrive à la fin de mes études en mai 2020.

Maxime Boniface et Hamid Sailani (photo Societal Angels)

La surface est de combien ?
A peu près 300 m2.

Et le nouveau lieu de production en projet à Saint-Martin-d’Hères ?
Ce sera un parking désaffecté d’à peu près 950 m2, dans le quartier Renaudie.

C’est prévu à quelle date ?
Fin 2022.

Cette année, donc…
J’espère…

Vous produisez deux espèces de champignons, des pleurotes et des shiitakes. Dans la nature, ils poussent où ?
Ils poussent dans des forêts, généralement sur des bois morts. Ce sont des champignons saprophytes qui, pour se nourrir, vont dégrader de la matière organique morte. Ils vont aller chercher la cellulose à l’intérieur pour se nourrir et développer leurs réseaux filamenteux : le mycélium, qui est la racine du champignon, en fait. Ils vont pousser sur ce genre de substrat. Ils ont besoin d’une humidité assez forte, notamment pour fructifier.

A quelle saison ?
Plutôt l’automne. Ils vont avoir besoin de fraicheur et d’humidité, de températures entre 12 et 18°. Cela peut varier selon les souches qui peuvent fructifier à des températures parfois plus hautes ou plus basses.

Les pleurotes et shiitakes ont besoin des mêmes conditions ?
Pas exactement. Le shiitake n’a pas les mêmes besoins nutritionnels et il a besoin d’un milieu plus humide que le pleurote. On a remarqué aussi qu’il a besoin de moins de ventilation.

Pleurotes poussant sur du bois mort en forêt

Dans les caves à Eybens, vous reproduisez le milieu naturel ? Qu’est-ce qui remplace les troncs d’arbres ?
C’est ce qu’on appelle des blocs de substrat. On va mettre différentes matières organiques qui peuvent apporter la cellulose au champignon.
Par exemple, pour le pleurote, c’est de la paille ; et pour le shiitake, c’est de la paille et de la sciure de bois.

Pleurotes poussant sur un bloc de substrat dans la champignonnière d’Eybens (photo oYez)

Vous vous approvisionnez où ?
Nous les achetons à un fournisseur qui fait cela à grande échelle, et qui est dans l’Allier.

Votre objectif est d’utiliser des déchets locaux ?
Le but est de récupérer des matières organiques sur le territoire. Nous faisons actuellement des expérimentations avec de la paille bio, de la sciure de bois non traitée, des tourteaux de noix, et des drèches de bière.

Pour l’instant, c’est expérimental ?
Oui, c’est un niveau expérimental parce qu’on a besoin, pour produire des substrats, d’un pasteurisateur qui sert à éliminer la plupart des micro-organismes qui sont présents sur ces substrats. Il y a partout plein de bactéries et d’autres champignons. La pasteurisation va éliminer la majorité de ces micro-organismes qui sont des compétiteurs.Une fois que le substrat est pasteurisé, il faut procéder à l’inoculation.

Actuellement, vous n’avez pas le matériel pour pasteuriser ?
Nous avons recyclé un vieux ballon d’eau chaude. Cela nous permet de faire 15 kg de substrat en deux jours.

Côté gauche, le cumulus transformé en pasteurisateur (photo oYez)

Ce n’est pas suffisant, comme quantité ?
C’est tout petit. A Saint-Martin-d’Hères, nous aurons un pasteurisateur qui permettra de faire en deux ou trois heures 200 kg de substrat.

L’idée est donc de passer fin 2022 à une échelle moins expérimentale ?
Cela fait un an et demi que nous faisons des expérimentations. Nous commençons à bien comprendre le processus.
Nous sommes aussi en train, en parallèle, de sécuriser ces approvisionnements : où trouver la paille, la sciure de bois, les tourteaux ; comment les acheminer, les conditionner, les stocker.
Avec le stérilisateur, nous devrions être prêts à passer à grande échelle.

Que faut-il mettre ensuite dans les substrats pour obtenir des champignons ?
Le mycélium, qui est la racine du champignon, qui est comme la graine pour les plantes.
Il va aller s’étendre sur la matière organique pour en puiser des nutriments à l’intérieur.
On prend du mycélium qui est sur des grains de céréales pour l’effriter plus facilement, pour avoir plusieurs points d’inoculation. De ces points va partir le mycélium pour se développer sur le substrat.
Une fois qu’il s’est entièrement propagé, c’est la période d’incubation.

Mycélium dans le sol

Vous le faites où ? Dans les caves ou dans une pièce spéciale ?
Dans les nouveaux locaux à Saint-Martin-d’Hères, il y aura une salle spéciale. Il y aura aussi la salle de stockage des matières premières ; ensuite la salle de pasteurisation dans laquelle on va mettre les matières premières dans le pasteurisateur ; puis la salle d’inoculation qui aura une hygiène maximale. On y entrera par un sas d’hygiène.
Ensuite, il y aura la salle d’incubation qui est plus chaude que les autres. C’est comme si, dans la nature, on était sous le sol : pas de lumière, entre 20 et 22°. C’est le milieu idéal pour que le mycélium se propage.
Une fois qu’il s’est bien propagé, on va lui faire subir un choc thermique et hydrique. Il va aller en salle de fructification. C’est comme s’il sortait le bout de son chapeau dans la forêt. Plus frais, plus de ventilation, plus d’humidité : c’est comme si on changeait de saison. Pour lui, c’est le signe qu’il peut fructifier.

Il y a combien de temps entre la préparation du substrat et l’apparition des champignons ?
Pour les pleurotes, c’est 3 semaines d’incubation et 6 semaines de fructification, ceci pour 2 récoltes.

C’est long…
C’est plutôt rapide, par rapport à d’autres cultures… Pour le shiitake, la période d’incubation est plus longue : plutôt 6 semaines.

La récolte se passe comment ? Il faut cueillir à la main ou avec des outils ?
A la main, tout simplement, pour les grappes de pleurotes ; avec un couteau pour les shiitakes.

Shiitakes poussant sur un bloc de substrat (photo oYez)

Et pour la conservation, avant de les vendre ?
Ils se conservent en chambre froide. Ils se consomment très frais.

Vous les cueillez juste avant de les vendre ?
Non, nous les cueillons au moment de leur maturité. Ni trop tôt, ni trop tard : il y a un moment particulier où il faut les récolter.

Et vous en produisez combien de kg pour l’instant ?
Nous en produisons 500 à 600 kg par mois actuellement.

Vous arrivez à tout vendre ?
Oui, en vente directe pour 10 à 15 % ; les restaurateurs entre 25 et 30 % ; les AMAP 25 % ; et les épiceries 25 %.

Côté droit du hall d’entrée des caves (photo oYez)

Vous allez garder les caves d’Eybens quand le nouveau site de production sera aménagé ?
Oui, nous allons garder les deux sites. Nous estimons que nous pourrons produire à capacité maximale jusqu’à 2,5 tonnes de pleurotes par mois.
Actuellement, tout le travail du pôle commercial de Champiloop est de trouver de nouveaux débouchés.
Les circuits courts ont leurs limites. Cela ne concerne qu’une partie de la population. Nous allons continuer, mais notre objectif est d’alimenter tout le territoire, en travaillant avec des distributeurs qui sont sur le département de l’Isère, en essayant d’entrer dans la restauration collective (écoles, entreprises), et en essayant de toucher au maximum les restaurateurs du département.

Pour l’instant, vous produisez deux espèces de champignons. Un de vos objectifs est-il d’en produire d’autres ?
C’est possible. On peut faire des champignons asiatiques : enokis, maitakes. Les chefs restaurateurs nous les demandent.

Et des champignons de Paris ?
C’est plus compliqué à produire et cela demande plus d’espace. Et en agriculture urbaine, on est assez contraint en termes d’espace. On doit les cultiver à l’horizontale alors que nous cultivons à la verticale.
Nous n’avons pas prévu aujourd’hui de nous lancer dans cette activité.
C’est aussi plus dur de préparer son propre substrat et il n’existe plus de fournisseurs de substrat en France.

Y a-t-il des variétés de champignons qui seraient à sauvegarder, en train de disparaître ?
Non, il n’y a pas cet enjeu comme il peut exister pour certains légumes ou autres plantes.
En fait, l’énorme majorité des champignons ne se cultive pas. Les producteurs cultivent une infime partie des champignons, ceux qui sont facilement cultivables.
Le pleurote est extrêmement simple à cultiver puisque c’est une souche qui va vaincre facilement ses compétiteurs (les autres champignons et les bactéries). Le shiitake, un peu moins.
Les autres espèces de champignons sont plus fragiles et leur culture est donc plus compliquée.

Et d’un point de vue gustatif, qu’est-ce qui caractérise les pleurotes et shiitakes ?
Le shiitake a un goût un peu plus boisé, il se rapproche du cèpe. Le pleurote a plus un goût de noisette.
Les deux, quand ils sont cuisinés, peuvent avoir l’apparence et la texture de la viande. Pour des régimes végétariens, c’est une bonne alternative, en goût. Mais pas en quantité de protéines. Les champignons ne sont pas une source de protéines : teneur de 2 à 3 %.

Et en nutriments ?
Ils contiennent beaucoup de bons nutriments.

Les champignons sont des légumes ?
Non, ce ne sont pas des légumes. Dans la classification des êtres vivants, c’est un règne à part entière.

Ce ne sont donc pas non plus des végétaux ?
C’est un règne à part entière, ni animal, ni végétal.

Lieux de vente des champignons Champiloop :
https://www.champiloop.com/ou-nous-trouver/

Entretien réalisé fin mai 2022

A propos de l'auteur

Anne Veitl